L’Économie Sociale et Solidaire : Le tournant nécessaire pour le Maroc de demain.

Appel à explorer le potentiel de l'ESS au Maroc

M. Mohamed Amine EL MOUATARIF

9/18/20243 min lire

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À l'occasion de la Journée nationale des coopératives, le 18 septembre, il est plus que jamais opportun de dresser le bilan de l'économie sociale et solidaire (ESS) au Maroc. Dans ce pays, terre de paradoxes et de promesses inachevées, l'ESS se débat, telle une créature à l'agonie, étouffée par des promesses non tenues et des élites déconnectées.

Autrefois berceau d'une économie collective où la propriété privée n'était qu'un îlot dans un océan de solidarité, le Maroc se retrouve aujourd'hui à un tournant crucial. Les discours, toujours plus ronflants, résonnent dans des salles feutrées. Les chiffres mirobolants défilent sur les PowerPoints lors des conférences, mais l'ESS reste, malgré tout, le parent pauvre de notre économie. Un concept brandi avec fierté lors de forums internationaux, pour être ensuite rangé dans les tiroirs de l'oubli le reste de l'année.

Contemplez nos souks, ruches bourdonnantes d'activité ! Admirez nos quartiers artisanaux, symphonies de savoir-faire ancestral ! N'oublions pas les corporations d'antan, gardiennes de nos traditions économiques. Voilà l'essence de notre identité, un patrimoine collectif aussi précieux que l'eau dans le désert.

Mais que fait-on de ce trésor ? Au lieu de le polir, de le renforcer par un arsenal juridique adapté, d'accompagner sa modernisation et son expansion vers de nouveaux horizons - art, médias, services à la personne, BTP, éducation, santé - notre élite, gavée aux mamelles des grandes écoles de commerce étrangères, préfère jouer au Monopoly grandeur nature.

Cette élite politico-économique, aussi déphasée qu'un chameau dans l'Arctique, balaye d'un revers de main nos pratiques économiques solidaires comme on se débarrasserait de grains de sable après un pique-nique dans le désert. Ils prônent la suprématie du capital et du marché. La main sur le cœur, ils inventent des concepts tels que l'"entreprise sociale", vidant ainsi l'ESS de son essence même : l'humain, le social et la solidarité. Et comme des rapaces, ils se nourrissent des carcasses de la misère collective, transformant les initiatives sociales en leviers de profit personnel. Ils se battent corps et âme pour déconnecter l'économie de sa véritable vocation : servir l'humain avant tout.

Et que dire de cette fameuse stratégie marocaine pour le développement de l'ESS ? De cette loi-cadre qui ne cadre rien ? Des lois sur l'équitabilité du commerce, sur la participation sociale et fiscale ? Un mirage dans le désert de l'inaction ! Des stratégies connues seulement de leurs rédacteurs, aussi insaisissables qu'un fantôme et aussi peu engageantes qu'une promesse électorale.

Il est grand temps que le Maroc, dans sa quête d'inclusion et de progrès, explore enfin le véritable potentiel de l'ESS. C'est la seule économie authentiquement humaine, celle qui profite à la communauté entière, puisant sa force dans nos pratiques ancestrales, nourrie par nos valeurs de solidarité. Une économie endogène, non délocalisable, que le Maroc, sous l'impulsion du souverain, aspire à voir atteindre 8% du PIB, en 2030, dans le cadre du nouveau modèle de développement.

L'ESS n'est pas une solution miséreuse pour les misérables, ni une économie "du rural", ni un fourre-tout semi-formel. C'est une économie solide, porteuse de durabilité et de richesse partageable, profitable aux territoires et aux communautés. Pourtant, nos dirigeants, dans leur paresse intellectuelle, préfèrent le mimétisme à l'innovation, l'inaction à l'expérimentation.

Comme l'arganier s'épanouissant dans nos terres arides, l'ESS pourrait être cet arbre majestueux à l'ombre duquel notre économie trouverait fraîcheur et vigueur. Il est temps de transformer notre capital immatériel en une richesse durable et émancipatrice, de faire de nos valeurs séculaires le moteur d'un développement endogène.

Les solutions existent. Elles sont déjà en œuvre, portées par des acteurs solitaires et solidaires, qui œuvrent dans l'ombre pour faire vivre cette économie de partage et de coopération.

Le Maroc est à un carrefour : continuerons-nous à singer des modèles économiques étrangers, ou oserons-nous enfin embrasser notre héritage pour construire un avenir qui nous ressemble ? La réponse est entre nos mains, comme l'argile entre les doigts du potier de Safi. À nous de façonner notre destin économique, avec l'ESS comme boussole et nos valeurs comme étoile polaire.

Mohamed Amine EL MOUATARIF

Expert en développement territorial - Président de l'association COOPLUS